mardi 1 mars 2011

fibre fébrile


Je viens d’apprendre par Nicole Diaz le décès de Sophie Béra (le 21 février). Toutes deux suivaient les ateliers d’écriture que j’animais l’année dernière à la bibliothèque Méjanes d’Aix-en-Provence pour le compte de l’association Cultures du Cœur — ironie du sort, Sophie Béra est morte d’un arrêt cardiaque. J’aimais beaucoup Sophie. Sous ses airs anxieux, elle cherchait toujours la lumière dans un monde qui lui paraissait souvent hostile (elle m’avait par exemple raconté qu’on lui avait volé son manteau alors qu’elle était hospitalisée). Elle y croyait, à cette lumière, elle savait qu’elle existait, qu’elle n’avait pas rêvé. Peut-être oubliait-elle parfois qu’elle la portait en elle.

Ou alors pensait-elle qu’on devait lui donner l’autorisation. En début d’atelier, elle avait souvent du mal à accepter mes consignes, comme si quelque chose en elle résistait, elle semblait ne pas vouloir comprendre. Alors je l’encourageais à faire ce que bon lui semblait, elle pouvait s’en inspirer, se les approprier, les contourner, les détourner. Et quelques dizaines de minutes plus tard elle me rendait plusieurs textes alors que les autres travaillaient encore sur le premier. Du coup, elle trouvait que ça n’allait pas assez vite.! Elle était vraiment charmante. Distinguée, mais aussi très angoissée. Ça se lisait sur son visage, entre ses lignes et ses bouffées de cigarette. Je crois qu’elle appréciait particulièrement les pauses durant lesquelles nous fumions. Elle avait besoin de se confier. Elle m’avait parlé de son fils, et je pense à lui, à tout ce qu’il n’a pas pu lui confier, à tout ce qu’elle lui confie maintenant. 

Il y a trois semaines, une personne que j’aime absolument mais dont je dois taire le nom (sans doute pour ça).* m’a fait passer un message de sa part.: Sophie lui avait demandé de me dire que la «.folie.» (le mot est d’elle) de mes ateliers lui manquait. Par cet hommage je la remercie de cette touchante attention. Elle était passionnée de théâtre, elle vient d’entrer en scène pour l’éternité.: la chenille était devenue chrysalide, la voici à présent imago. En pleine lumière. 

* Les choses changent si vite, ladite personne a décidé de s’exprimer justement à découvert (cf. commentaires).
 


La mort est un noir argenté qui pleure le deuil de sa veuve. La couleur de ses cheveux le rend lumineux tel un astre pâle, tellement émouvant de dignité et de retenue, malgré son chagrin. Il est à lui seul une leçon de vie. Soudain il me donne une impulsion.: ma vie change et je sautille sous l’emprise d’une adoration vitale.


Sophie Béra




Atelier d’écriture de la Planète des Signes à la bibliothèque Méjanes,
Aix-en-Provence, le 16 mars 2010, avec le concours de Cultures du Cœur.


2 commentaires:

Anonyme a dit…

Le sens d'une rencontre échappe trop souvent aux sens communs des mortels

... mais Sophie avait le regard qui marque le ciel et l'arrête pour l'embrasser...

Merci à elle de m'avoir reconnue et ensoleillée de par ses mots et son beau geste, il y a quelques semaines... je reste en suspens face à cette nouvelle...les mots aussi

avec amour

Emmanuelle


Une pensée aux siens

Jean Bernard Thomas a dit…

merci Emmanuelle

Nicole m'a écrit cette nuit qu'elle était triste

n'oublions pas que Sophie aimait rire, aussi, malgré son désarroi

(elle avait cette pudeur de rire en privé)

et qu'elle avait su garder son âme d'enfant, certes mal ajustée à la société (à moins que ce ne soit le contraire, ou les deux)

d'ailleurs, pourquoi l'imparfait ? elle est toujours là, au présent