vendredi 27 janvier 2017

revenir à nous

lire aussi ici 

le suaire
du souvenir
soulève l’étoffe
de notre devenir
quand je ne te reviens pas 




Ce qui survient ne prévient pas, même provenant le plus souvent du souvenir le plus fréquent. Ce qui survient advient et revient à ce qui le fonde. C’est donc un retour à l’avenir, dans le sens qu’il lui suffit d’être à venir tout en étant déjà venu de là d’où il provient. Ce qui survient ne se souvient plus de rien, il va comme il vient, lui convient, lui revient. Alors il se souvient.


la frontière
de l’avenir
promet une terre
pour nous soutenir
quand je ne te retiens pas


Ce qui survient arrive, ce qui revient arrive aussi. Entre les deux rives le cours du temps présent s’arrête dans son itération perpétuellement renouvelée. Un départ se boucle entre deux arrivées.



il aurait fallu partir pour te revenir à l’heure inédite
il aurait fallu te dire ce que tu as toujours su
il aurait fallu me dire ce que tu as toujours tu
il aurait fallu s’évanouir dans un bouquet de souvenirs arrosés d’oubli
il aurait fallu revenir pour retenir la leçon du temps perdu


En croyant se contenir l’on n’obtient plus qu’un certain maintien qui ne nous convient pas plus qu’une distance à entretenir entre soi-même et ce que nous avons élu (ce qui revient à une déconvenue).


sans se souhaiter la bienvenue 
on l’a gardée en retenue

parvenir à tes faims
pour subvenir à nos besoins
                                                                          




je tiens à toi
tu me reviens
je ne suis rien


je viens à toi
tu me retiens
et je suis tien




.Tenir en joue c’est détenir quelque vérité sans en tirer la moindre conclusion
.C’est savoir se ressouvenir en s’interdisant d’intervenir. 
.C’est s’en tenir à une certaine tenue.


Qui revient de loin ? 

L’escorte des monstres précipitée dans le ravin. 

Qui revient de loin 
pour retourner la terre engloutie sous la mer ?

Les amants infatigables chasseurs de trésors. 



Qui revient de loin 
remonte sa nature.


nous en sommes revenus
de tout
de tous
de nous
nous nous sommes revus
donné rendez-vous
nous nous sommes retenus
il ne tenait qu’à nous
nous nous sommes revenus



dessins   Rockwell Kent


samedi 7 janvier 2017

que sont-ils devenus ?


Nous pensions que nous étions venus 
à Venise mais l’on nous soutint 
que nous fûmes sur Vénus. 
Nous nous rendîmes à l’évidence 
en ouvrant les yeux. 
Carnet de voyage, légendes, croquis…





Nous arrivâmes en astronef filant sur le cours du temps pour remonter jusqu’à l’amour originel et atteindre le centre névralgique de ses ondes en épanchements. 



Sur Vénus on ne parle pas, du moins pas comme on l’entend. La communication se fait par la lumière.: pâles halos timides, lueurs plus vives de l’enthousiasme, échanges passionnés en scintillements foisonnants, engueulades paroxystiques à grand renfort d’éclairs. 

        


        

Sur Vénus on ne se fâche pas.; on se flashe. Aurores boréales, éclipses inopinées et tragiques couchers de soleil ponctuent le quotidien de tout Vénusien.





Ainsi les Vénusiens ont-ils le parler-lumière volubile qui se matérialise en tentacules lumineux au phrasé s’enroulant autour de leurs interlocuteurs… ici les circonvolutions n’ont rien de métaphorique.




 ils se déduisent



Notons que les Vénusiennes ont les mains en étoiles de mer prenant le pouls de ceux qui les désirent. Nul autre choix dès lors que de rester à vie en leur compagnie sous peine de cœur funeste. Quant aux mains des Vénusiens, lorsqu’ils ne les fourrent pas dans leurs poches, elles ressemblent à s’y méprendre à des lampes torches. 



Les Vénusiennes et Vénusiens ne s’accouplent pas tellement. L’acte sexuel est assimilé à celui de se gratter là où ça démange. Ils trouvent ça rébarbatif, mécanique, primitif. Et pour se reproduire.? se demande-t-on. Ils ne se reproduisent pas non plus.; ils se déduisent. Comment s’y prennent-ils.? En remontant la sève de leur généalogie, les Vénusiens laissant place aux anciens. L’on pourrait présumer qu’ils se dirigent vers un dépeuplement inéluctable… pensez donc.: pour chaque Vénusien qui meurt, c’est une cohorte d’ancêtres qui renaît. Les Vénusiennes, elles, sont immortelles.



 parthénogenèse de taupes



On détermine l’espérance de vie d’un Vénusien au nombre inversement proportionnel d’aînés venant grossir les rangs de ceux qui le poussent petit à petit vers la fin. Et n’allez pas croire que les Vénusiens redoutent de mourir, ils s’en font au contraire une joie, un feu de joie à proprement partir, puisqu’ils finissent tous comme ça, consumés par l’extase de se savoir finis. Ils reviennent d’ailleurs toujours sous une forme ou une autre, celle d’un bisaïeul tout fripé par exemple ou d’un grand-oncle un peu arriéré dont on aurait oublié le prénom, réduit à la triste condition de point d’interrogation sur les photos de famille. 

Il faudrait aussi évoquer les modalités de naissance des Vénusiens. Ils sortent tout simplement de terre, de cette terre vénusienne grasse et fertile entourant leurs vastes étendues d’eau. Le phénomène se déroule ainsi.: une motte apparaît, qui peut rester des jours dans sa bienséance immobile, tel un œuf de sérénité couvant patiemment son projet d’éclosion. Et puis soudain, la voici qui enfle, enfle et enfle encore jusqu’à crever et s’ouvrir pour libérer le corps du premier venu. Les modalités embryonnaires des Vénusiens pourraient être assimilées à une sorte de parthénogenèse de taupes. Le sous-sol de Vénus est un gigantesque réseau de galeries creusées par les âmes en file d’attente prénatale.







 pratiquement pas d’enfants



Que cette profusion de détails ne nous égare pas.force est de reconnaître que les cycles de vie et de mort propres aux habitants de Vénus demeurent à nos yeux une énigme à tel point sont-ils éloignés de nos propres coutumes existentielles. Retenons cependant ces quelques autres observations

Les Vénusiens ne vieillissent pas, ils semblent même rajeunir, mais de façon si lente qu’une dizaine de générations terrestres nous suffiraient à peine pour en prendre conscience. 

Il n’y a pratiquement pas d’enfants sur Vénus.; dès qu’ils en dénichent un, ils le dévorent. Et le plus surprenant c’est que l’enfant s’y prête volontiers, s’y livre plutôt, avec un enthousiasme déconcertant. Ces repas sont l’occasion de grandes fêtes où Vénus s’illumine durant d’innombrables nuits tant tout le monde baigne dans la félicité. 






Il faudrait enfin parler de l’eau de Vénus, et c’est peut-être par là que nous aurions pu commencer (que voulez-vous, l’expérience de la découverte vénusienne est si bouleversante qu’elle en déstabiliserait la plus imperturbable des montagnes). Ceci est en corrélation avec la politique de contrôle des naissances. Car le seul fléau que redoutent tellement les Vénusiens c’est l’asphyxie, celle des villes et de leurs corollaires en termes de promiscuité, de contagion, d’absence d’intimité. On pourrait s’imaginer que les Vénusiens ont l’instinct grégaire, il n’en est rien : ils n’ont seulement pas assez de place pour accueillir tout le monde. S’ils laissaient la nature suivre son cours, ils seraient des milliards de familles à se côtoyer et la guerre ne tarderait pas à les guetter.



    de leur amour-lumière
 découle l’eau



Ils ont donc dû paradoxalement réduire leur espace vital pour éviter de vivre les uns sur les autres. Inonder les terres en vue de réguler la formation anarchique des mottes de terre fertiles. Seuls quelques enclos, sous surveillance étroite, sont réservés à cet effet. D’autres mottes qui viendraient à surgir de sols frauduleux seraient aussitôt piétinées. Afin de produire toute cette eau, les Vénusiens se sont ingéniés à puiser dans leurs réserves. Pour y parvenir, ils ont instauré un processus de contention lumineuse. En n’usant que parcimonieusement de leur lumière innée ils génèrent automatiquement un stock liquide qui s’accumule dans leur organisme. C’est de l’amour. De leur amour-lumière découle l’eau. 





Alors cette eau déborde, elle leur sort de partout et bien des continents ont vite été réduits à de simples îlots. On colmate çà et là, on jette des ponts, on endigue, on se réfugie en hauteur. C’est que tout cet amour liquide risquerait bien de nous emporter. Personne n’irait volontairement se noyer, quand bien même dans l’amour. 

L’amour cerne les villes, se love dans les biefs et canaux dédiés, tout s’y reflète, êtres et choses, comme on s’y perd. L’amour-lumière liquide s’est déployé dans l’étendue. Et déjà il nous faut quitter les lieux sans trop tarder, au risque de s’y fondre. Ça n’est pas sans regrets. Au moins pourra-t-on se consoler en se disant que les quelques larmes laissées sur place auront contribué à endiguer une démographie menaçante et, partant, rendre Vénus plus habitable. Ce qui est sûr, c’est que depuis ce séjour les mottes de terre ne paraissent plus si innocentes ni anodines.



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texte & photos  ► Jean Bernard Thomas